Une statue de la Vierge à l’enfant du XIVe siècle
Cette sculpture date du milieu du XIVe siècle. Elle provient de la chapelle Saint-Aignan, située dans l’ancien cloître des chanoines, sur l’île de la Cité. En 1818, elle est transférée à Notre-Dame pour être placée au trumeau du portail de la Vierge, en remplacement de la Vierge du XIIIe siècle, détruite en 1793. Puis, en 1855, Viollet-le-Duc décide de la déplacer pour l’adosser au pilier sud-est du transept de la cathédrale.
La statue de Notre Dame dans la littérature
La bouche se contracte en une apparence de moue et prédit des pleurs. Peut-être qu’en parvenant à empreindre en même temps sur la face de Notre Dame ces deux sentiments opposés, la quiétude et la crainte, le sculpteur a voulu lui faire traduire à la fois l’allégresse de la Nativité et la douleur prévue du Calvaire.
La Cathédrale, J.-K. Huysmans, 1898
C’est auprès de cette statue que le poète Paul Claudel se convertit, au cours des vêpres de Noël 1886. Dans son œuvre, Ma conversion, publiée en 1913 il y fait allusion :
J’étais moi debout dans la foule, près du second pilier à l’entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma vie. En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable.
Dominique Ponnau, conservateur général du patrimoine honoraire, décédé en 2024, offrait quant à lui cette méditation :
Belle statue de Notre Dame ; statue symbole de Notre-Dame de Paris ; symbole plus fameux que nul autre ; hormis celui de la Pietà au fond du chœur. Cette Notre Dame-ci, grandiose et gracieuse, se tient debout, à droite, au seuil du chœur. Notre Dame de la Pietà est assise, sur l’ogive axiale du fond, sous la Croix d’or, sommée de l’éclair blanc du Saint-Esprit, à jamais déchirure de la ténèbre. La Dame douloureuse tient son Fils mort sur Ses genoux et, de Ses bras étendus, prend à témoin le silence du Ciel. La Dame de l’accueil tient ce même Fils sur son bras. Mais c’est un Fils enfant. La Dame de l’accueil est la Mère d’un petit Enfant. Plus tard, quand Il aura trente ans, Il reposera, mort, paisible, sur Sa maternelle douleur. Aujourd’hui, à l’entrée du chœur, Il est encore l’enfant joyeux, presque facétieux, de Sa jeune Mère. De l’entrée au fond du chœur, entre ces deux statues de Notre Dame, s’étendent non seulement les temps des siècles, mais ceux de l’intime et de l’ultime, ceux des origines et de l’accomplissement. La durée sans fin du mystère, en laquelle se déroule celle, fugace, de nos vies promises à l’éternité. Notre Dame du Seuil est celle qu’humblement ici l’on vient prier. Celle qui paraît être ici depuis les origines et devoir y demeurer à jamais. Pourtant elle n’y fut pas toujours. Elle surgit du ciseau d’un sculpteur vers le milieu du XIVe siècle, destinée, avec bien d’autres compagnes, à la petite église Saint-Aignan, dans le cloître des chanoines, alors situé au flanc nord de la Cathédrale. Sauvée de la sauvagerie antichrétienne du temps de la Terreur, elle fut placée à l’entrée de Notre-Dame, au portail de la Vierge, remplaçant une autre statue détruite en ces mêmes temps de délire. Enfin, on l’installa en ce lieu, là même où, autrefois, à l’entrée du chœur, un autel était dédié à Notre Dame. Ainsi Notre Dame du Seuil voyagea-t-elle, au cours des siècles, de seuil en seuil, jusqu’à venir, au seuil du chœur, constituer la proue du sanctuaire, dont la poupe est l’image du Dieu mort, vainqueur à jamais de la mort. Notre Dame du Seuil, Notre Dame de la proue du vaisseau de notre conversion, est une mère élégante et grave ; une mère à la longue robe, au long manteau, rythmé de longs plis gracieux, comme les vagues d’une mer mouvante et calme ; une mère puissante, dont le déhanchement n’altère pas mais discrètement suggère la majesté ; une mère virginale et royale, qui, de sa main droite, tient la fleur du Royaume des lys et dont le beau visage à l’abondante chevelure souple comme l’onde est ceint d’une couronne. L’Enfant de Notre Dame joue sans façons avec le haut du voile de Sa mère. Mais ce jeu évoque un Mystère, celui de l’amour de l’époux. Cet Enfant, qui n’est encore qu’un enfant, est déjà l’Époux ; et la jeune mère, qui Le porte sur son bras, est la Mère Église qui, en cet enfant, porte l’Époux de l’Église : son Fils et son Dieu. La sphère que porte cet enfant est, elle, le fruit d’amour, redevenu virginal, du paradis, et qui symbolise le cosmos réconcilié sous son sceptre… Aussi le beau visage de la Mère et celui de son Fils Époux n’ont-ils pas d’expression, plongés qu’ils sont dans l’infini. Faut-il penser à tout cela quand on vient prier Notre Dame de Paris, au pied de son image ? Il suffit de La regarder. De lui confier ce que l’on désire. De s’en remettre à Elle de ce qu’il est bon de lui confier. Qui sait ? Comme en une après-midi de Noël, quand non loin d’elle, au chant du Magnificat, Claudel, d’un coup et pour toujours, se convertit, peut-être chacun de nous se convertira-t-il, peut-être sans éclat, sans même en avoir conscience. Peut-être alors, devant sa grave beauté et celle de son Fils, chacun commencera-t-il, ou recommencera-t-il sa traversée de la Dame du Seuil à la Dame du port, du port ultime, dont la lumière éternelle déchirera la nuit.